Qu’est-ce qui fait que nous pouvons nous déclarer amoureux ? Que
devons-nous sentir, que devons-nous vivre pour avoir la certitude
raisonnable de l’être ? Bien des réponses pourraient être avancées,
selon l’expérience de chacun. En ce qui me concerne, quand une personne
s’éveille le matin avec l’image ou le prénom de l’être aimé comme
première impression, et cela durant plus d’un mois, je juge que cette
personne a de fortes chances d’être « atteinte » de passion amoureuse.
Autre indice : halluciner l’être aimé dans des circonstances nombreuses
et diverses, c’est-à-dire le « voir dans sa soupe ». Un autre indice
encore : être rempli d’une joie qu’aucun malheur extérieur à notre
relation avec l’être aimé ne réussit à modérer.
C’est un pareil amoureux que nous présente aujourd’hui le prophète Isaïe
dans un des chants du Serviteur
souffrant : « La Parole me réveille chaque matin, chaque matin elle me
réveille pour que j’écoute comme celui qui se laisse instruire ». Le
Serviteur souffrant préfigurant Jésus, nous comprenons mieux comment ce
dernier a pu vivre et supporter sa Passion : comme un amoureux, tout
simplement. Un amoureux violemment assailli dans sa joie, car
apparemment abandonné par le Père et très concrètement trahi, bafoué par
les hommes; mais un amoureux tout de même, qui ne veut pas vivre autre
chose que son amour, qui s’y agrippe comme à la seule chose qu’il vaille
la peine de vivre. Les insultes, la souffrance, l’angoisse, la mort
elle-même : rien n’y fait, Jésus est charrié jusque sur la croix par un
« amour qui ne veut pas mourir », si on peut dire !
Ne nous faisons pas d’illusions : nous ne pourrions pas supporter de
prendre notre croix à la suite du Christ si nous ne puisions pas à la
même source d’énergie vitale que lui : l’amour de Dieu. Sans doute, nous
ne nous extirpons pas toujours de la torpeur du sommeil avec une action
de grâce sur les lèvres. C’était peut-être le cas lors des mois qui
suivirent notre conversion, ou lors des semaines suivant une retraite
particulièrement consolante; cependant, comme la passion amoureuse se
transforme en un amour plus solide mais exigeant une bonne dose
d’entretien quotidien, ainsi évolue notre amour de Dieu. Ainsi, nous
avons tout intérêt à nous trouver des rituels, publics ou privés, qui
entretiennent la flamme. S’efforcer de s’éveiller et de s’endormir en
Dieu par la prière me paraît un rituel sûr, éprouvé. Après un certain
temps, le miracle se produit : je ne prie plus parce que je le dois;
mais je prie Dieu parce que j’en suis amoureux.
Jonathan Guilbault,
séminariste stagiaire
Unité pastorale Montréal-Nord |
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