Une
halte étrange et bien méritée !
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Il
existe peu de récits aussi riches et complexes que celui de la
Transfiguration. En fait, il faudrait parler de plusieurs récits, car
trois des évangiles livrent leur version respective de l’événement.
Par où
commencer ? D’abord, la voix du Père désignant Jésus comme son Fils
renvoie clairement la Transfiguration au baptême de Jésus, alors que le
même phénomène se produit. Le baptême est un passage de la vie à la mort
à la vie nouvelle; Jésus, quand il accepte de recevoir le baptême des
mains du Baptiste, prend sur lui toutes les petites et grandes morts
humaines, donc tout le péché et ses effets, afin de nous en délivrer.
Évidemment, le rite du baptême dans l’eau n’est que la préfiguration du
baptême que Jésus vivra dans sa Passion. Alors, qu’en est-il de la
Transfiguration ? Celle-ci anticipe les fruits de la Passion, ou plutôt
le versant lumineux de la croix : la résurrection ! Pour affermir ses
disciples, Jésus leur manifeste avec puissance la gloire de Dieu cachée
au creux de l’épreuve terrible qui vient. Ça n’empêchera pas Pierre et
Jacques d’être sérieusement ébranlés dans leur foi quand les événements
se corseront…
Cependant, que viennent faire Moïse et Élie dans cette histoire ? C’est
que ces derniers représentent respectivement la Loi et les Prophètes. En
étant présents aux côtés de Jésus transfiguré, ils témoignent que la Loi
et l’inspiration prophétique trouvent leur accomplissement en lui.
Et
l’idée saugrenue de Pierre de dresser trois tentes ? Tentative candide
pour faire durer l’instant de grâce ? Peut-être, mais rappelons-nous que
les Juifs espéraient vivement le jour où Dieu viendrait « dresser sa
tente au milieu d’eux » (cf. Ez 37, 27; Za 2, 14). Ainsi, Pierre pense
sans doute que le Jour du Seigneur est enfin arrivé, et il n’a pas tout
à fait tort, car depuis l’Annonciation, il est exact de dire avec saint
Jean : « Le Verbe s’est fait chair, et il a établi sa tente parmi nous »
(Jn 1, 14).
De
plus, la version de Matthieu pullule de références à l’Ancien Testament,
pour montrer aux Juifs que Jésus accomplit les Écritures et inaugure les
temps messianiques, les temps de la fin. Ainsi, bien des détails de son
récit (le visage brillant, les vêtements lumineux, la terreur des
disciples, l’injonction de ne pas avoir peur, etc.) sont empruntés aux
chapitres apocalyptiques du Livre de Daniel (surtout les chapitres 9, 10
et 12), qu’il vaut la peine d’aller lire !
Tout
cela étant dit, plus concrètement, que peut-on retirer du récit matthéen
de la Transfiguration ? Différentes choses, sans doute, mais assurément
que Dieu nous réserve d’agréables répits sur nos chemins de croix
quotidiens. La Transfiguration n’a pas évité à Jésus de subir la
Passion. Toutefois, elle fut une halte bien méritée pour Jésus et ses
disciples, en manifestant avec clarté que la souffrance et la mort n’ont
pas le dernier mot. Tout comme la rigueur de la Loi de Moïse et
l’obscurité des prophéties s’épanouissent en Jésus révélant pleinement
le Père, les vicissitudes et déceptions de notre vie ne sont que les
premiers mots encore hésitants d’une histoire d’amour s’écrivant dès
maintenant dans l’éternité de Dieu. Cette certitude de foi nous permet
de vivre dans le monde comme des transfigurés, comme des ressuscités.
Jonathan Guilbault
Unité pastorale Montréal-Nord |
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