La Bible est un livre sanglant. D’Abel
à Jésus et même au-delà, le sang coule à flot. Pour le peuple juif, le
sang transmettait la bénédiction accordée à Abraham suite au sacrifice
avorté d’Isaac; celle-ci assure à la descendance d’Abraham la première
place parmi les peuples : « C’est en elle que se béniront toutes les
nations de la terre » (Gn 22, 18). Néanmoins, si Israël reconnaît
Abraham comme son père biologique, il le reconnaît tout autant comme son
père spirituel : il est avant tout le père de la foi. D’ailleurs, du
strict point de vue biologique, le patriarche n’engendre pas seulement
Isaac, mais aussi d’autres enfants dont se réclament d’autres nations.
Le sang d’Abraham circule dans les veines de bien des peuples ne se
reconnaissant pas comme frères…
Dans l’histoire d’Israël, le sang a manifestement parlé plus fort que la
foi. Quand les tribus viennent se soumettre à David, ils ne lui disent
pas : « nous adorons le même Dieu ! », mais « nous sommes du même sang
que toi ! ». Les partisans de David croient s’attirer des éloges de sa
part en assassinant la descendance du roi Saül pour lui dégager le
chemin vers le trône. Mais tout ce sang écœure David… qui en rajoute
pourtant en faisant exécuter ses partisans assassins ! Malgré ses
intentions pieuses, David reste prisonnier de son époque : régner,
c’est, entre autres, verser le sang d’autrui.
Il faudra attendre Jésus pour que la tendance se renverse enfin. Dans
l’Antiquité et jusqu’au Moyen Âge, on croyait couramment que le roi, une
fois oint, possédait un pouvoir de guérison. Selon ce critère, Jésus
« régnera » avec une force inimaginable, opérant des guérisons
miraculeuses. Il ne fait pas couler le sang; au contraire, il arrête son
flux, comme le constata cette femme dont l’hémorragie cessa dès qu’elle
eut touché la frange du vêtement de Jésus (Lc 8, 43-48). Celui-ci ne
demande pas à la femme si elle est du sang d’Abraham; il lui dit
plutôt : « ta foi t’a sauvée ». La foi avant le sang. Par ailleurs,
Jésus n’affirme pas sa royauté par ses seules guérisons : il inaugure
une nouvelle manière de régner en livrant son propre sang sur la croix.
Pas le sang d’autrui, comme David, ou encore celui d’un animal, comme
les prêtres : son propre sang. Pour ses disciples, régner ne signifiera
plus dominer, mais servir, se donner pour son prochain.
Nous bénéficions de « l’héritage du peuple saint », car nous sommes liés
à Abraham tant par le sang que par la foi. Par le sang ? La plupart
d’entre nous ne sommes pourtant pas Juifs… Mais notre foi nous fait
communier au sang du Christ, nous revêt de l’aube baptismale lavée dans
son sang (Ap 7, 14). Par la foi, nous revêtons le Christ lui-même (Rm
13, 14). Incorporés en son Corps, nous devenons héritiers du peuple juif
par l’intermédiaire de Jésus, descendant de David, descendant d’Abraham…
Mais être héritiers du peuple élu, pour nous, ne signifie rien d’autre
que d’être appelés par Dieu à annoncer son Règne en servant notre
prochain, comme le fit Jésus, le Roi des rois.
Jonathan Guilbault, séminariste
Unité pastorale Montréal-Nord |
|