Jésus a des paroles très dures aujourd'hui. Cette semaine, en
relisant cet évangile, la première chose qui m'est venue à l'esprit,
c'est le souvenir d'un petit article de journal sur lequel j'étais tombé
il y a quelques années ; un fait divers, qui m'avait fait sursauter et
qui, après coup, m'avait attristé puis fait réfléchir. L'article disait
qu'on avait reçu un homme, d'urgence, à l'hôpital, qui s'était lui-même
arraché un œil après avoir lu ce texte de l'évangile qu'on vient
d'entendre. Évidemment, on s'était dépêché de lui donner les premiers
soins, mais on l'avait ensuite dirigé vers l'aile psychiatrique. Si je
me rappelle bien, c'était quelqu'un qui souffrait de schizophrénie et
qui était en crise en posant son geste. Il était en plein épisode
délirant et, donc, il n'était ni conscient de la portée de son geste, ni
responsable de ce qu'il faisait à ce moment-là. J'espère qu'il va mieux
maintenant, qu'il a reçu tous les soins nécessaires et que certains de
ses proches ont prié pour lui.
En écoutant l'évangile d'aujourd'hui, on a tous compris que Jésus
ne nous demandait pas de nous auto-mutiler. Sinon, il nous manquerait
probablement à tous au moins une petite partie du corps, un pied, une
main, un œil, une langue, ou d'autres petits bouts que je vous laisse
imaginer. Bref, on sait tous que quelqu'un qui prendrait chaque mot de
Jésus, chaque parole de l'évangile au pied de la lettre, aurait de
sérieux problèmes. Jésus utilise un langage symbolique, et nous demande
d'en comprendre l'esprit et non de le prendre à la lettre. Celui qui
prend tout ce qu'on lui dit au premier degré, qui ne prend aucune
distance critique par rapport à ce qu'il entend, souffre nécessairement
d'un certain déséquilibre mental.
Si je vous parle de ça aujourd'hui, c'est pour aborder un sujet
d'actualité dont on entend beaucoup parler depuis plusieurs années déjà
et qui est même devenu une menace sérieuse pour notre monde. Je parle de
l'intégrisme religieux. On peut penser d'abord aux intégristes
musulmans, mais il y a aussi des intégristes juifs, des intégristes
chrétiens, et il semble y avoir des courants intégristes dans chaque
religion. L'intégriste est justement celui qui fait passer la lettre
avant l'esprit, contrairement à ce que nous enseigne Saint-Paul et Jésus
lui-même. L'intégriste nous dit en somme qu'il faut comprendre chaque
mot de la Parole de Dieu dans son sens littéral, et il se construit un
système religieux rigide, figé comme un bloc de béton, auquel on doit
obéir dans son « intégralité ». D'où le terme « intégriste ». On doit
tout suivre à la lettre, intégralement, et aucune évolution, aucun
progrès n'est permis à l'intérieur de ce système.
C'est ce qui se passe au nord du Mali actuellement, dans le Sahel,
en Afrique de l'Ouest. En imposant leur charia, certains groupes
intégristes musulmans sont en train de ramener le pays à l'âge de
pierre. On coupe les mains aux voleurs, on a lapidé à mort publiquement
un couple qui avait eu des enfants hors mariage, et on a même interdit
la musique, dans ce pays qui compte de si grands musiciens.
L'intégrisme chrétien pourrait également être cité en exemple. Je
pense à la véritable guerre verbale que se livrent les créationnistes et
les évolutionnistes dans le domaine de l'éducation aux États-Unis. Les
créationnistes prennent le récit du Livre de la Genèse à la lettre et
disent que c'est Dieu qui a façonné l'homme dans la glaise et qui lui a
ensuite enlevé une côte pour créer la femme. Tandis que les
évolutionnistes affirment plutôt, à la suite de Darwin, que les espèces
évoluent, et que l'homme descend du singe.
Or, ces deux façons de voir la réalité sont-elles nécessairement
opposées, sont-elles contradictoires? Notre Église nous répond que non.
La théorie de l'évolution de Darwin a été en partie réhabilitée, même
s'il existe toujours un chaînon manquant entre le singe et l'homme. On
ne sait toujours pas comment et à quel moment est née la conscience
humaine, cette conscience qui nous permet d'entrer en relation avec
Dieu. N'empêche, plusieurs aspects de la théorie de l'évolution de
Darwin demeurent pertinents, en particulier ceux qui s'intéressent au
règne animal. Mais la science ne discrédite en rien le récit de création
qu'on retrouve dans la bible. La science essaie de répondre à la
question du « comment » et de comprendre comment les choses se sont
passées concrètement, sur le plan physique. Tandis que le récit biblique
s'interroge davantage sur le « pourquoi », sur le sens des choses, sur
le sens à donner à notre vie, sur notre relation à Dieu, et se situe
donc plus à un niveau métaphysique. Bref, il n'y a pas d'opposition
entre la science et la religion, entre la raison et la foi. Il s'agit
seulement de deux regards différents, de deux perspectives différentes
d'une seule et même réalité. Mais les intégristes, eux, voudraient nous
imposer une seule façon de voir, la leur, et nous empêcher de réfléchir
sur un monde qui progresse, qui évolue, et qui est constamment en
mouvement. Est-ce que c'est parce qu'ils souffrent d'un handicap mental
ou de problèmes psychiatriques comme l'homme que j'ai donné en exemple
tantôt? Peut-être que oui pour certains. Mais je crois que la plupart se
sert de la religion comme prétexte, pour assouvir leur soif de pouvoir
et pour asseoir leur domination.
Mais revenons maintenant à nos textes d'aujourd'hui, qui nous
montrent justement que le Saint-Esprit est toujours en mouvement, en
activité, et qu'il ne se laisse pas couler dans le béton comme le
souhaiteraient certains intégristes. Qu'il ne se laisse pas accaparer
par ceux qui voudraient imposer leur pouvoir sur les autres, notamment
sur les plus faibles.
Dans la 1ère lecture, l'Esprit a soufflé sur deux hommes qui ne se
trouvaient pas à ce moment-là avec Moïse et les 70 anciens. Ils se sont
mis eux-aussi à prophétiser, ce qui semble en avoir rendu certains
jaloux. Or Moïse demandent aux autres anciens de les laisser
prophétiser. L'Esprit souffle où il veut et quand il veut. Et Moïse n'a
pas du tout l'intention d'arrêter les deux hommes, ou de leur réclamer
un « pizzo », une commission comme celle que les entrepreneurs de
Montréal ou de Laval doivent remettre à la mafia. Moïse sait qu'il n'a
pas le monopole de l'Esprit-Saint et il aimerait au contraire que tout
le peuple puisse prophétiser.
Dans la deuxième lecture, Saint-Jacques nous dit que les riches
qui ne partagent pas avec les pauvres et qui accumulent malhonnêtement
leurs richesses ne peuvent pas être inspirés par l'Esprit-Saint, qui est
un Esprit d'amour et de justice sociale nous poussant à partager. Cette
lettre de Saint-Jacques aurait pu servir de belle introduction et de
belle conclusion à la commission Charbonneau.
Pour ce qui est de l'évangile du jour, il nous ramène d'abord
à la première lecture. Un homme chasse les démons et fait du bien aux
gens au nom de Jésus. Ce passage de l'évangile est souvent lu lors des
rencontres annuelles pour l'unité des chrétiens. Les apôtres aimeraient
bien empêcher cet homme d'agir, puisqu'il ne fait pas partie de leur
équipe. Ils ont, eux aussi, la tentation du pouvoir et aimeraient bien
imposer à cet homme leurs propres règles. Mais voyez ce que leur répond
Jésus, toujours animé par ce même Esprit de bonté et de liberté. Il leur
dit de le laisser aller, puisque cet homme fait du bien en son nom.
« Celui qui n'est pas contre nous est pour nous ». Bref, pas d'esprit
sectaire chez Jésus, et aucune soif de pouvoir et de domination sur les
autres, comme c'est le cas chez nos fameux intégristes.
Mais alors, pourquoi emploie-t-il un langage si dur dans la
dernière partie de l'évangile? « Si ta main, si ton pied t'entraîne au
péché, coupe-les. Si ton œil t'entraîne au péché, arrache-le. Il vaut
mieux entrer manchot, estropié ou borgne dans le Royaume de Dieu que
d'être jeté tout entier dans la géhenne, là où le ver ne meurt pas et où
le feu ne s'éteint pas ». Pourquoi Jésus a-t-il des mots si durs?
(Petite parenthèse avant de terminer. Quand Jésus nous parle de la
géhenne, il nous parle de l'enfer, vous le saviez sans doute. Mais pour
ceux qui ne le savent pas, la géhenne était en réalité le dépotoir de
Jérusalem. On y faisait constamment brûler les déchets, et les vers y
grouillaient 24h sur 24. Je suppose aussi que ça ne devait pas sentir le
parfum de roses. Dans l'imaginaire des gens, la géhenne est donc devenue
une représentation de l'enfer. Et ceux qu'on envoyait travailler là-bas,
les vidangeurs de l'époque, utilisaient une fourche pour brasser les
déchets qui brûlaient. D'où notre représentation du démon avec une
fourche et noirci par la suie. Je referme la parenthèse). Si Jésus nous
interpelle par des mots si durs, ne serait-ce pas à cause de
l'importance et de l'urgence du sujet dont il traite, qui devraient être
une priorité dans nos vies? Jésus nous appelle à un combat intérieur, à
un combat contre nos penchants mauvais qui nous empêchent d'entrer
librement dans son Royaume, dans la vie éternelle. Que cette communion,
donc, nous fortifie et nous aide à nous engager sérieusement dans ce
combat intérieur, pour que les portes du Royaume s'ouvrent devant nous
et que, justement, nous ne nous retrouvions pas coincés avec le
vidangeur fourchu de Jérusalem. Amen!
Unité pastorale Montréal-Nord |
|